Je désire que la petite fille qui est en moi se sente protégée

C’est une histoire triste mais dont la fin n’est pas encore écrite. Vous me direz que mon histoire a déjà été racontée. Non, car chacun est unique et chacun vit différemment ces drames que sont l’inceste et la pédophilie. Chacun a le droit de témoigner et de faire éclater le silence, de sortir de l’ombre qui l’étouffe. Comment peut-on guérir et s’épanouir dans l’ombre ?

Alexandra est mon prénom, un prénom prédestiné puisqu’en grec il signifie celle qui combat et protège les hommes.
Le premier homme de ma vie fut mon géniteur que je n’ai jamais appelé papa bien qu’il ait fait partie de mon existence jusqu’à mes 7 ans. Je ne l’ai jamais aimé. Instinctivement je l’ai repoussé, rebutée par sa violence engendrée par son alcoolisme profond. Une violence plus verbale que physique pour l’ensemble de ma famille, c’est-à-dire, ma mère, mes trois frères et moi, la petite dernière, la seule fille.

J’étais joyeuse, toujours souriante, malicieuse mais je gardais un secret.
Ne rien dire, ne rien montrer pour ne pas provoquer sa colère, pour protéger ma famille. Je pleurais toujours cachette. J’étais un brave petit soldat qui vivait le drame de l’inceste.

Ma mémoire n’est encore composée que de fragments plus ou moins importants, plus ou moins précis de ce cauchemar bien réel. Mon corps, lui, se rappelle de tout. Les années passent et les souvenirs remontent à la surface, surtout depuis mon vrai premier petit ami, à l’âge de 23 ans.
Par moment, c’est comme revivre le passé, redevenir une petite fille qui avait des hallucinations, qui la nuit faisait d’horribles cauchemars, qui avait peur.

Ma mère qui à l’époque ne se doutait de rien (et non parce qu’elle ne voulait pas voir, de cela j’en suis certaine car si elle avait découvert la vérité, elle aurait réagi), a courageusement quitté mon géniteur avec ses quatre enfants lorsque j’avais 6 ans.
A l’âge de 7 ans, ma mère lui a interdit toute visite pressentant alors un danger. Elle comprenait qu’il aurait pu nous tuer avec un de ses fusils qu’il affectionnait tant ou en voiture qu’il conduisait en état d’ivresse avancé, qu’il aurait pu abuser de moi (sa fille ainée d’un premier mariage, que je n’ai jamais connue, avait alors avoué avoir été violée à l’âge de 10 ans par notre géniteur.

Un de mes frères avait rapporté que lors des visites, il me courait après autour de la table jusqu’à m’attraper pour me serrer fort contre lui d’une manière qui n’avait rien de paternelle), mais elle ne savait pas qu’il avait déjà commencé et là encore je n’ai rien dit. Je me suis juste permis de pleurer sans me cacher.

Celui qui aurait dû être mon père, mon papa, a violé mon innocence, il a cassé quelque chose en moi, il m’a empêchée de bien me construire psychologiquement, socialement, émotionnellement et physiquement.

C’est un des crimes les plus odieux qui soit. J’ai pu lui pardonner et comprendre sa violence, son alcoolisme mais beaucoup plus difficilement son comportement incestueux même si tout est lié.
Longtemps j’ai voulu le tuer et je sais que si ma mère n’était pas partie, je l’aurais fait.

Je suis plus apaisée aujourd’hui, plus dans une démarche de compréhension et de pardon même si parfois un sentiment de colère, d’injustice et de tristesse ressurgit.

La route est longue pour guérir de cette terrible blessure d’autant que j’ai un trouble de la personnalité limite et d’autres problèmes de santé dont mon géniteur est la cause première. D’autres hommes (un oncle, un épicier…), d’autres prédateurs, reniflant ma blessure, m’ont fait subir des attouchements. Cette blessure m’a desservie dans ma vie amoureuse, dans ma vie en général.

J’ai entrepris un long et difficile travail pour que ces drames du passé ne dominent plus ma vie. Je crois que c’est quelque chose qu’il laisse des traces jusqu’à votre mort même si on parvient à la résilience, à se reconstruire. Je me bats chaque jour et je ne me tais plus.

Ma maman sait. Ca a été dur pour elle, mais elle n’a pas douté un instant de ma parole contrairement à mon frère ainé. Mes deux autres frères préfèrent ne jamais en parler. Lorsqu’un de mes oncles, pourtant connu pour sa perversité, avait essayé de me toucher à l’âge de 11 ans, ma mère et ma grand-mère maternelle n’avaient pas remis en doute ma parole mais mes tantes m’avaient traitée de menteuse, de salope. Il est important que la victime soit entendue et reconnue.

Avec la prescription je ne peux plus porter plainte contre mon père. S’il était encore vivant, j’aurais aimé pouvoir le faire. Il est mort seul de son alcoolisme dans une maison de retraite. Lorsque je l’ai appris, j’ai versé une larme et j’ai ressenti un immense sentiment de gâchis.

Aujourd’hui à 33 ans, je désire pouvoir commencer une autre vie, être libérée du passé. Je désire que la petite fille qui est en moi se sente protégée. Pour moi c’est une étape importante de témoigner. Il reste tant encore à faire contre l’inceste et la pédocriminalité. Un jour peut-être, je serai en mesure d’apporter mon aide.
Comme je l’ai déjà dit, la fin de l’histoire n’est pas encore écrite.

Alexandra

Un Commentaire

  1. Ca faisait longtemps que je n’étais pas revenue sur cette page. Merci beaucoup Line pour ce gentil message d’encouragement. Ca me touche. Amicalement (-: Alex

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